Le diable dans tous ses états !
Le violon magique, Rose Latulipe, la chasse-galerie, autant d’histoires tirées de notre folklore mettant en vedette le diable lui-même, qui apparaît le plus souvent sous la forme d’un séduisant jeune homme, tout de noir vêtu, pour mieux piéger les jeunes filles qui adorent danser, ou les villageois, un soir de Mardi gras, continuant à faire la fête après minuit, sous l’emprise d’un violon ensorcelé... Car il n’y a rien de plus éternel chez l’être humain que la tentation de braver les interdits.
Pour cette nouvelle édition, je me suis inspirée des contes et légendes que mon père, Claude Aubry, avait fait paraître en 1968. Tout en restant fidèle au ton et au style des textes, avec leurs expressions colorées, leurs croyances et leurs superstitions, j'en ai actualisé le contenu, en particulier les rapports entre les hommes et les femmes et nos liens avec la nature.
Par exemple, je me suis permis de changer la conclusion de la légende « Les marsouins de la Rivière-Ouelle », y voyant l’occasion rêvée de faire un vibrant plaidoyer en faveur de tous les cétacés qui sont encore cruellement chassés dans certaines régions du globe, tout en respectant le cadre surnaturel de la fable. J’ai d'ailleurs ajouté, à la fin de chaque légende, des renseignements sur l’origine du texte et des liens pertinents.
Ce recueil se termine par l’une des légendes les plus terrifiantes de notre répertoire, « La Corriveau », tirée d’une histoire vraie : celle d’une femme, Marie-Josephte Corriveau, qui fut condamnée à la pendaison et mise en cage en 1763 pour le meurtre de son deuxième mari. La cage fut ensuite exposée en public à la Pointe-Lévy (l’ancien nom de Lévis, sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent) pendant cinq semaines.
La cruauté inusitée du châtiment et la jeunesse de la meurtrière, qui avait trente ans au moment de sa condamnation, frappèrent l’imaginaire des gens de l’époque. La découverte de la cage dans le cimetière de la paroisse Saint-Joseph de Lévis, un siècle plus tard, donna une deuxième vie à ce personnage tragique et inspira des écrivains tels que Philippe Aubert de Gaspé, William Kirby et Louis Fréchette.
De simple paysanne, Marie-Josephte Corriveau devint tour à tour une sorcière, une empoisonneuse, une tueuse de maris (au fil du temps, elle en aurait assassiné deux, puis trois, jusqu’à sept…), bref, une créature de l’enfer qui terrorisait les pauvres voyageurs et qui aimait faire le sabbat avec les feux follets qui peuplaient l’île d’Orléans.
Révoltée par le sort tragique de cette jeune mère de famille de 30 ans, qui fut la victime d'un système judiciaire inique, j'ai décidé de réécrire son histoire, donnant enfin la parole à celle qui est devenue une légende bien malgré elle.
La facture artisanale de ce « beau livre » honore l’esprit de l’édition originale, mettant en valeur les gravures de l’artiste canadien Saul Field, récupérées et renumérisées pour l’occasion. Ces illustrations apportent leur touche d’originalité et de rêverie à ce magnifique ouvrage.
Il ne me reste qu’à vous souhaiter un merveilleux voyage dans l’univers des violons magiques, des canots volants, des loups-garous et autres créatures fabuleuses nées de notre folklore national.
Suzanne Aubry